Clément Renaud

Facebook face aux réseaux sociaux chinois


Le réseau social américain fait les yeux doux à un marché chinois en plein boom.

Une page du portail chinois QQ qui connaît depuis son lancement en 1999 un succès colossal. Une page du portail chinois QQ qui connaît depuis son lancement en 1999 un succès colossal. D.R. Lorsqu’on navigue pour la première fois sur le Web depuis la Chine, on est bien surpris de ne pas y trouver ses sites habituels. Twitter, YouTube, Dailymotion, Blogger ou même encore Facebook n’ont en effet pas franchi l’épreuve du “great firewall” (“grande muraille pare-feu”), nom donné au système de filtrage et de contrôle de la Toile chinoise par le gouvernement de Pékin.

Souvent considéré comme l’expression la plus poussée de la censure politique qui règne en Chine, le great firewall participe aussi largement au protectorat économique dans un marché de l’Internet aujourd’hui extrêmement lucratif. L’absence du géant YouTube a notamment permis aux acteurs locaux de la vidéo en ligne de se développer rapidement. Ainsi, Youku est entré récemment en bourse à Wall Street alors que Tudou affiche à lui seul plus de 200 millions de vidéos vues par mois.

La situation semble similaire pour les réseaux sociaux : depuis quelques semaines, des rumeurs font état d’un accord récemment conclu entre Facebook et le géant chinois de l’Internet Baidu, sur la création d’un réseau social conjoint. L’absence de concurrence étrangère durant ces dernières années a plus largement permis à de nombreuses entreprises chinoises de s’installer confortablement.

Ainsi, la firme Tencent propose un service de messagerie appelé QQ qui connaît depuis son lancement en 1999 un succès colossal. Avec un total de 638 millions d’inscrits, QQ ne se contente pas d’être une messagerie. Il propose également un portail Web, un réseau de blogs et surtout une plateforme de jeux en ligne populaire à la fois chez les petits et les grands.

A la différence de MSN, son concurrent outre-pacifique utilisé par un public en majorité jeune, le phénomène QQ touche l’ensemble de la société chinoise. Du collégien au retraité en passant par le cadre supérieur ou le tenancier de l’échoppe du coin, tout le monde semble utiliser QQ quotidiennement. Une nouvelle “ culture QQ “ se faufile à travers le tissu de la société chinoise et on voit naître un peu partout des magasins, des marques de vêtements, de voitures et même des fermes agricoles fièrement estampillées QQ.

DES RÉSEAUX SOCIAUX ADAPTÉS AUX GOÛTS DES UTILISATEURS

Si QQ fait office de précurseur, de nombreux réseaux sociaux en ligne ont également vu le jour sur la Toile chinoise. L’importance du guanxi, élément profond de la culture traditionnelle poussant chaque Chinois à entretenir et exposer avec soin ses relations en société, a offert un terrain idéal à ces sites pour se développer rapidement.

Le public dispose ainsi de plusieurs plateformes permettant de se rassembler selon ses centres d’intérêts. Douban offre aux jeunes branchés de partager lectures, films et musique. Kaixin001, plus centré sur les jeux, propose un espace ludique pour les trentenaires au bureau. Renren est, quant à lui, un véritable clone de Facebook et se focalise sur le monde étudiant chinois. Dernier en date, le service de micromessages Weibo, lancé par la firme Sina, connaît depuis plusieurs mois un franc succès avec 10 millions de nouveaux inscrits chaque mois.

Le géant américain Facebook aura donc fort à faire pour s’imposer dans les habitudes déjà bien ancrées des internautes chinois. Les nombreux fiascos essuyés sur ce marché par d’autres acteurs du Web occidental laissent encore un souvenir amer, notamment chez Google et plus récemment chez BestBuy qui a lui aussi plié bagage. Qui se rappelle encore de Myspace.cn ? Se pliant aux règles édictées par Pékin, Rupert Murdoch avait lancé une version chinoise de son site non-connectée au reste du réseau mondial MySpace. Le résultat fut un échec cuisant avec une absence quasi-totale d’utilisateurs chinois inscrits.

D’IMPORTANTES CONCESSIONS À PRÉVOIR

Facebook, avec aujourd’hui 400 000 inscrits en Chine selon le site Social Bakers malgré la censure, devra donc jouer des coudes pour se faire une place au milieu des acteurs locaux. Son alliance pressentie avec le géant de la recherche en ligne Baidu serait un atout précieux. Restera bien entendu à suivre à la lettre les exigences d’un gouvernement qui a vu récemment ce même Facebook devenir un lieu privilégié du débat politique à Taïwan, notamment lors de campagnes électorales, ou pour la diffusion de pétitions en ligne.

De même, le Parti communiste chinois envisagera sans doute d’un œil inquiet l’accès offert aux multiples sources d’informations chinoises et internationales relayées chaque jour via Facebook.

Si la firme de Palo Alto entend prochainement poser le pied sur le sol chinois, elle devra faire des concessions importantes, à la fois sur la nature des contenus disponibles, mais aussi sur les possibilités d’interaction entre les membres du réseau, dans et hors de Chine. L’idée d’une plateforme spéciale pour ce pays n’est donc pas à exclure. Reste à savoir comment elle se démarquera de la concurrence locale.

This text was originally published in Le Monde.