Clément Renaud

Réactions en Chine à la vidéo anti-Sarkozy : un internaute témoigne


La vidéo intitulée « 2009, en avant la Chine » semble beaucoup avoir ému les lecteurs de rue89, je me permet donc de revenir dessus pour apporter peut-être quelques éclairages. S’il peut être intéressant d’analyser l’émoi qu’elle a provoqué en France particulièrement, je vais essayer de me pencher sur les réactions des chinois eux-mêmes face à ce genre d’objet.

Les réactions sont comme on peut s’y attendre à l’image de la diversité de cet immense pays. En allant sur le site Youku.com, un des grands portails de vidéo chinois où la vidéo a été postée, on remarque d’abord qu’elle n’a reçu que 436 commentaires, ce qui est fort peu au vu de la dimension de l’Internet ici qui est, encore une fois, à l’échelle du pays (et ce même si cette vidéo a été reprise sur de nombreux forums par la suite).

En regardant les commentaires, et même sans lire le chinois, on peut facilement voir de très nombreuses émoticônes représentant un petit bonhomme en train de vomir, de se questionner ou encore avec une goutte qui perle sur le front.

Bref, incompréhension, écoeurement et honte, voilà ce que ressentent aussi certains chinois lorsqu’ils regardent une telle vidéo. Un article paru sur Global Voices Online (déja cité par Rue89) donne un bon aperçu de la teneur des commentaires sur le site Bullnog.cn, je me permet de les reprendre ici.

L’internaute ?? nous dit :

????????????????????????

La vache, ils sont en train d’élever une génération de fascistes. Quelqu’un se prend pour Hitler ?

FreeChina s’en prend directement au Parti communiste, qui est selon lui responsable de cette éducation haineuse :

??????,?????? !

?????,??????????????????????????????? ? ??????,??????????????,???????????????????????????????????? ?

C’est une honte pour le PCC, le Ciel devrait le punir !

Qu’y a-t-il de plus honteux que de manipuler les esprits d’enfants innocents à des fins politiques ? Ils finiront par confondre idées anti-PCC avec idées anti-chinoises. On cultive chez eux une idéologie de l’autarcie. Le Parti serait-il en train de prendre le peuple chinois tout entier en otage pour lui tenir compagnie en enfer ?

Un autre internaute les plaint :

???????????????????????????????????

Les pauvres petits, si petits déjà, ils deviennent des outils au service du pouvoir et se retrouvent impliqués dans ce jeu abject qu’est la politique. Bien sûr, on compte aussi de nombreux commentaires exaltant le patriotisme, reprenant notamment le titre de la vidéo « Chine en avant » qui a été également un slogan durant les récents JO. D’aucuns accusent les dénonciateurs de « traîtres à la patrie » et de « soumis à l’Occident » et les ? (signifiant « génial ! ») sont également nombreux. Mais néanmoins, le débat fait rage et à bien y regarder, ce nationalisme brutal qu’on imagine parfois l’emporter facilement a bien du fil à retordre face aux internautes.

Tout d’abord et évidemment, il s’agit d’enfants et cela passe très mal. Beaucoup se demandent si les enfants comprennent vraiment ce qu’ils chantent et blâment le professeur de leur faire apprendre des choses pareilles. De nombreux chinois dénoncent également un véritable appel à la haine et ne tolère en aucun cas que le « nouvel essor » de la Chine se construise sur des idées pareilles. Comme le commente Dowei

???????? « La Révolution culturelle est-elle de retour ? » Quelques-uns de mes amis chinois, aprés avoir vu cette vidéo m’ont dit qu’il s’agissait sûrement d’un professeur ayant écrit et enregistré cette chanson à sa seule initiative, dans un coin quelconque de la Chine, et qu’il avait peut-être agit dans l’espoir d’être bien vu du bureau local du Parti. Ils étaient tous affligés de voir un tel discours.

En effet, depuis l’arrivée de Den Xiaoping, la Chine a fait de l’ouverture sur le monde une de ses priorités pour la (re)construction du pays. Elle attache une grande importance à la qualité des relations de la Chine avec les pays étrangers. La politique d’enseignement des langues en est un bon exemple.

La nouvelle identité chinoise

Au delà du commerce et de l’industrie qui sont souvent les seuls prismes par lesquels on envisagent ce pays, beaucoup de gens sont très heureux des échanges culturels (films, musique, livres, mode, etc…) que cela a permis. Les jeunes en particulier n’acceptent pas qu’on construise cette « nouvelle identité » de la Chine en opposition avec le reste du monde. Ils se sentent citoyens du monde, veulent découvrir l’Occident, l’Amérique Latine, rêvent de voyage et de départ.

L’épisode du passage de la flamme à Paris, surmédiatisé en France comme en Chine a été un choc émotionnel des deux cotés. En effet, la France est considérée par les Chinois comme un pays ami (notamment à cause de son anti-américanisme de longue date) et ici en Chine, l’incompréhension a été grande. Beaucoup plus que la colère, d’ailleurs.

La ville de Wuhan, dans laquelle j’habite, compte la plus grande communauté française de Chine en raison de l’implantation des énormes usines PSA (Peugeot-Citroën). Rappelons au passage que c’est Citroën qui équipe en taxis de nombreuses villes de Chine, dont Pékin et Wuhan. Autant dire que le parc automobile Citroën en Chine est sans doute plus grand que la totalité du parc automobile d’Ile-de-France. Les profits aussi, évidemment.

Bref, passons. C’est à Wuhan que les manifestations « anti-français » ont était le plus relayé par les médias chinois et français, qui en faisaient gorge chaude. On a dénombré à Wuhan « des centaines de personnes, voire des milliers » selon l’AFP. Un ami chinois qui est passé devant m’a dit qu’il devait y avoir environ 1000 ou 2000 personnes à la fin, menés par un groupe d’étudiants du PCC en furie. Sur une ville de prés de 8 million d’habitants, on ne peut pas dire que ce soit vraiment probant…

D’ailleurs, j’étais à Pékin le jour-même devant un des nombreux magasins Carrefour (autre grand représentant du CAC40 en Chine) et il n’y avait pour ainsi dire personne, voire rien. Exceptés les centaines de clients quotidiens.

La réalité loin des clichés

Tout cela pour dire que loin des clichés que j’avais moi-même avant de poser un pied dans ce pays, les gens du peuple de Chine ont, comme partout ailleurs, un discours bien différent de celui que les médias français ou chinois voudraient nous laisser entendre.

Un de mes souvenirs les plus marquants à ce propos s’est déroulé à Pékin. J’étais avec une amie chinoise et nous attendions un professeur d’université que nous devions rencontrer. Tout à coup, je l’entends éclater de rire devant un panneau d’affichage. Elle me le montre et me dit : « Tu vois, ce sont les résultats du cours de Marxisme. J’ai eu le même genre de notes quand je l’ai passé. » Presque aucun élève n’avait obtenu la note de 60/100 demandée.

Et si vous passez par une université chinoise un jour, demander aux étudiants ce qu’ils pensent de ce genre de cours lénifiant sur l’histoire du communisme, ils vous répondront sûrement que c’est le cours qu’ils le plus ennuyeux, et qui plus est les lassent depuis leur plus jeune âge.

Bref, les jeunes chinois, qui ont parfois eux-mêmes vécus les mêmes situations grotesques que dans la vidéo, ont néanmoins leur propre avis. Ils ont appris en cours de musique à jouer à la flûte les chants nationaux, pour certains ils ont du écrire et lire des discours chaque semaine devant leur classe à la gloire du Parti, de leur école ou de la Chine. Pour d’autres, leurs propres parents sont dans le PCC et pourtant ils continuent de refuser de prendre leur carte.

Avaler les couleuvres ?

Les propres parents et grands-parents de certains ont connu les camps de travail, d’autres ont dû brûler leur banderole devant tout leur lycée en 1989. Ce que je vous dit là, ce sont des gens chinois qui me l’ont raconté en privé, parce que les débats, ça ne passe pas à la télé ici. Et tout cela, ça trottent dans leurs têtes et ils en parlent entre eux, malgré tout. Et ces débats-là sont vifs, réfléchis et humains, notamment sur Internet - comme le prouve encore cette vidéo.

Et malgré tous les efforts des grands médias et des professeurs zélés pour inculquer les beaux discours de haine aux enfants, on peut quand même compter sur une bonne partie des jeunes et des moins jeunes en Chine pour réfléchir avant d’avaler toutes les couleuvres qui passent.

This text was originally published in rue89.com.