Data, culture, organismes et organisations
A la suite d’une réflexion intéressante sur la création de valeur par Les Mutins me vient l’envie d’écrire un post sur ce blog que j’ai deserté depuis longtemps.
Le texte du blog de la Mutinerie parle de “l’illusion de la linéarité dans la création de valeur” :
On cherche souvent à chasser les tendances, à détecter les nouveautés à coup de statistiques et d’outils de mesure quantitatifs, mais je crois que cette voie, sans être inutile, tend cependant à nous induire en erreur régulièrement.
Personellement, je travaille à comprendre du data depuis pas mal de temps maintenant et je rejoins complètement cette analyse.
En effet, les données dans le sens le plus large ne sont après tout que les restes d’un évènement déjà passé (une réponse, un résultat, un post, un clic…) La grande ignorance des données, c’est justement l’actuel (le présent), son futur, ce que ces données représentent et ce qu’elles représenteront sous un jour qui ne s’est pas encore levé.
Souvent, j’ai l’idée que les millions de tableaux et de graphes sont juste une enième vanité humaine pour dépasser son ignorance du futur. La kabbale du VC, le dashboard du trader, la boule de cristal du social marketing et la plume du data journaliste ont tous en commun la perte substantielle des réalités humaines et de l’environnement. Les modèles conceptuels qui servent à l’analyse de données sont complètement dépassés et les conséquences d’une société “data-driven” sont aujourd’hui désastreuses - avec la finance et le ROE pour maîtres notamment.
Organismes et organisations
Depuis quelques jours se tient à Paris Les Entretiens du Nouveau Monde Industriel orchestré par Bernard Stiegler sous le jour de sa thèorie concernant “l’organologie générale” des objets et des êtres.
Dérivé du grec, organon (outil, appareil).
L’organologie générale désigne une méthode tentant de saisir conjointement, au cours de l’histoire de l’humanité, les organes physiologiques, les organes artificiels et les organisations sociales. L’organologie générale décrit une relation à trois classes (physiologiques, techniques et sociaux). Un organe physiologique (y compris le cerveau, siège de l’appareil psychique) n’évolue pas indépendamment des organes techniques et sociaux.
Citation d’après le site d’Ars Industrialis
En effet, comme le notait Edgar Morin dans son livre _Introduction à la Pensée Complexe, _il ne s’agit pas seulement d’étudier les phénomènes en tant que tels, mais de tenter un renouveau du paradigme scientifique fondé sur l’analyse (i.e. la séparation nette des objets étudiés). La modernité avec ces objets technologiques et l’incroyable bond de la population mondiale ont rendue très complexes de très nombreuses décisions, entreprises ou situations aux répercussions incontrollées.
L’analyse des données existantes est sans doute une partie de la réponse, mais elle s’intéresse dans sa majorité aux structures générales : l’organisation (l’entreprise, le réseau, la collectivité, etc.) et les organismes (le vivant). La question cruciale de “l’écologie” nous met aujourd’hui face au vrai challenge : la prise en compte de l’existence des organismes dans la construction d’organisations (industries, villes, etc.)
Comment cultiver et quantifier le vivant
La grande mission que s’est désormais donnée lascience est de quantifier et qualifier ces organismes, avec d’énormes chantiers comme le décodage de l’ADN ou encore la neurologie et le Connectome. La _“data science” _quant à elle poursuit l’oeuvre des sciences sociales et entreprend la quantification / qualification à grande échelle des organisations : réseaux sociaux, Open Data, etc.
Reste à envisager le point crucial : leurs relations, qui la plupart du temps se jouent sous un mode non-quantifiable. Des disciplines comme le management ou la psychanalyse se sont penchées de près sur cette question de la relation des personnes à l’organisation, souvent sous le concept de culture (culture générale, culture d’entreprise, background culturel, etc.).
Nous pourrions ainsi considérer la “culture” comme un ensemble de méthodes qui doit produire une harmonie nécessaire entre organismes et organisations, un accord sur la manière dont personnes et institutions doivent être cultivés afin de vivre en bonne osmose. A ce sujet, le philosophe allemand HP Sloterdijk dans son livre Règles pour le Parc Humain a réalisé une brillante critique de l’éducation humaniste et de la littérature comme entreprise de domestication de l’homme par l’homme.
Cultiver des humains, des légumes, des machines, etc.
Pourtant, il semble bien, Le défi d’aujourd’hui est bien de d’interroger cette idée de culture dans un contexte où les organismes/organes en présence ne sont plus seulement humains mais aussi robotiques, animaux, végétaux, minéraux (les fameuses “ressources”). Comment comprendre les relations entre la culture des cellules et la culture des sociétés? Comment construire ces “méthodes de culture” pour l’ensemble des êtres vivants sur notre planète? Ou peut-être mieux encore, quelles seraient les alternatives possibles à la culture? Je doute qu’on ai des données là-dessus.