Le style journalistique aujourd'hui
S’il est bien un sujet dont on entend peut parler dans le débat public autour des médias, c’est bien l’écriture. Enjeux de pouvoir, réseaux d’influence, connivence, muselage, la liste pourrait être longue des travers que présente actuellement le journalisme en France. Dans ce lot politico-médiatique, on en oublie souvent de parler de l’écriture journalistique elle-même qui, disons-le, est également bien mal en point. Entendons nous, je parle d’écriture dans un sens trés large, de la tv à la presse, comme d’une manière de retranscrire, d’écrire la réalité.
Chez les journalistes, le travail d’écriture s’apprend méthodiquement dans des écoles spécialisées et il en résulte bien souvent une uniformisation désolante. “L’objectivité”, grand fantasme du journaliste au XXIe siècle, évince les adjectifs, superlatifs et autres marques de pathos pour laisser place à un récit froid et stérile, comme en produit si bien l’AFP. Le style journalistique sera bientôt aussi codé que l’écriture informatique : d’abord un chapô, puis un surtitre et une petite mise en exergue, l’info principale sur les deux premières lignes, etc… Non pas que certains standards ne soient pas importants, et qu’ils n’existent aucun code ou balisage à respecter dans l’expression. Mais bon, un peu de liberté dans le langage ne fait jamais de mal, et puis quel plaisir quand même de jouer avec les mots (autrement que pour écrire des “titres-choc” ndlr).
L’article le plus célèbre dans l’histoire de la presse française est sans doute “J’accuse” de Zola : il fut écrit par un romancier. Le style dans l’écriture, la recherche dans l’expression est primordiale. Certes, il existe aujourd’hui une réelle démarche qui consiste grosso modo à surencherir pour “être percutant”. Le hic est qu’à ce petit jeu, on tombe rapidement dans le racollage et l’effet d’annonce, et l’info est reléguée loin derrière, en toile de fond.
Tout se passe comme si la “classe” journalistique ne prenait pas la mesure du poids des mots et de leur importance réelle. Le langage n’est pas (l’a-t-il seulement été ?) un sujet central dans les rédactions. L’urgence du scoop laisse, à vrai dire, peu de place à un réel travail d’écriture. On l’abandonne volontiers à quelques écrivains, chercheurs en sciences humaines ou psychanalystes grisonnants.
Or, le marketing politique actuel a su faire du mot une de ces plus grandes armes. Pour cibler, écarter ou au contraire flouter les débats, pour incriminer et se disculper, pas mieux qu’un mot-concept politicien. Du “karcher” au “vaccin citoyen”, on sait comment blesser ou arrondir les angles, comment faire mal à certains et peur à d’autres.
Même les éditoriaux semblent se ressembler tous, copier/coller de concepts politiques façonnés dans un langage vide de sens. Des “banlieues” au “pouvoir d’achat”, de l”islamisme” à la “croissance”. Qui peut encore me dire de quoi nous parlons ? Il serai grand temps que ces messieurs de la PQF cessent de lire uniquement des dêpèches et les livres écrits par des communicants pour reprendre quelques grands classiques de la littérature.
Ecrire pour Internet
C’est sans doute un des grands interêts du format “blog” pour lire de l’information : le style d’écriture y est trés différent, plus réactif, plus léger et plus intime souvent. A vrai dire, la subjectivité reprend ses droits sur les blogs. Evidemment, il existe aussi une masse de contenu trés creux, fait d’avis et d’anecdotes pas toujours intéressantes. Néanmoins, on retrouve dans le ton de beaucoup de bloggers celui du chroniqueur. L’idée que raconter c’est s’approprier, avant même de transmettre quelque information que ce soit.
Le travail autour de l’écriture multimedia et l’hypertexte promet également une vraie dynamique de réflexion autour de l’écriture journalistique. Pourquoi mettre une photo plutôt qu’une vidéo ? Ce lien au milieu de mon article ne va-t-il pas en couper la lecture ? Quelle identité sonore pour un media musical ? Les mediums à disposition sont multiples, chacun possédant sa grammaire propre. Reste à écrire une grammaire du multimedia…
A mon avis, et sans parler de liberté d’expression, l’arrivée d’un support comme Internet est salutaire pour cela : un art de renouveller des pratiques sclérosées.
-——- Open Newsroom, coopérative multimédia pour le journalisme en ligne
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